mercredi 23 septembre 2009

extrait épique

[Une étape du Tour de France 1964.]
C'est la journée de repos. Raymond Poulidor, comme les autres champions, roule, s'entraîne, teste les braquets sur les pentes environnantes. En guise d'entraînement, Jacques Anquetil, polo gris, pantalon gris et mèche blonde - mèche que l'on ne reverra plus jamais dans le peloton hormis au front d'Evgueni Berzin , l'enfant des loups - débarque au méchoui organisé dans la Principauté par Radio Monte Carlo. Cuissot, rognons, sangria : tout finit dans le buffet de Jacques. Le lendemain, dès les premiers lacets de l'interminable col d'Envalira et vexé par tant de désinvolture, le gratin des pentes - Raymond Poulidor, Federico Bahamontes et Julio Jimenez - place un terrible démarrage et s'envole. Anquetil monte, livide, avec cuissot, rognons et sangria. L'écart se creuse, atteint les quatre minutes, Poulidor peut s'emparer du maillot jaune. Au sommet, mort, raide, à la dérive, Anquetil avale un bidon de champagne, se jette à fond dans une descente rendue extrêmement dangereuse par l'épais brouillard, revient sur les échappés, distance Poulidor et gagne le Tour. Champagne ! Anquetil a tout gagné, sauf, peut-être, le cœur du public qui battait plus pour Raymond Poulidor que pour le Viking de Quincampoix. Parce que Raymond Poulidor, vainqueur de Milan-San Remo, restait, même couvert de fleurs, un petit paysan de la Creuse. Il était l'enfant de la France des villages, des épiceries et des cours de ferme, celle qui regarde passer le Tour, en encourageant, avec toujours plus de chaleur, le champion que la malchance accable. De plus, ces Français que la géographie à l'école ennuya, ont tous un faible pour les champions qui règnent sur les paysages démesurés, affrontent la nature en colère, les éléments déchaînés. Un faible pour Charly Gaul dans la neige de Monte Bondone, sous la pluie mitraillant son corps d'ange dans les grands cols de la Chartreuse. Un faible pour Federico Bahamontes dans la fournaise d'Aubisque, seul et devant sous le soleil meurtrier du Litor. Jacques Anquetil, lui, le chronomaître, ne se bat que contre un ruban de route maigre comme Don Quichotte. Le paysage ne compte pas. Il n'est le tremplin d'aucun rêve, un lieu lisse qui fait d'Anquetil un champion abstrait. Abstrait ? Non, éolien ! Anquetil se bat contre Éole, affronte ses légions de verre et de ouate. Et sa froideur apparente est celle d'une lame de couteau. Regardons-le, splendide, sur son Helyett, son drakkar vert. C'est une sagaie, une flèche, la tête blonde d'une fusée perforant la bidoche invisible du vent.

1 commentaire:

Unknown a dit…

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