mercredi 14 octobre 2009

Les genres romanesques !

Autobiographique :

Les trois radicaux grecs qui constituent le mot définissent l'autobiographie comme "l'écriture de sa propre vie". Peu répandu dans l'Antiquité, le genre éclôt vraiment avec l'humanisme occidental et la réhabilitation de l'individu (« Je suis moi-même la matière de mon livre », affirme Montaigne au début des Essais, qui constituent l'œuvre la plus authentiquement autobiographique... et la plus inclassable).

Comique :

Le mot "comique" (du grec kômos, fête carnavalesque et rurale en l'honneur de Dionysos) désignait dans l'Antiquité toute pièce de théâtre. A partir du XVII° siècle, il qualifie les œuvres essentiellement théâtrales (les comédies) qui s'opposent à la tragédie dans leur finalité, qui est le rire, et leur dénouement heureux. Le registre comique s'applique à des sujets ordinaires, traités dans un style familier, où souvent domine l'intention satirique et morale : la comédie "châtie les mœurs en riant", tournant en ridicule des caractères ou des vices à la mode.

Didactique :

Le genre argumentatif est ici concerné au premier chef dans son intention d'informer autant que de convaincre. Le mot "didactique" est formé sur le grec διδακτικός (« propre à instruire »). Mais les œuvres qui entrent dans le genre didactique ne se caractérisent pas toujours par une simple fonction référentielle ou informative, et c'est à ce titre qu'elles font partie de la littérature. De fait, nous ferons entrer dans cette catégorie un ensemble de textes où, si le propos est toujours d'instruire, les formes sont extrêmement diverses, que la littérature entreprenne de réfléchir sur elle-même ou qu'elle s'allie à toutes les sciences humaines.

Dramatique :

Le bas-latin drama (action) est à l'origine de l'adjectif, qui désigne très généralement toute œuvre théâtrale. Il prend néanmoins un sens particulier avec l'apparition du drame. Né au début du XVIII° siècle du déclin de la tragédie et de l'observation des mœurs à laquelle s'est vouée la comédie, le drame se compose de deux sous-genres : le drame bourgeois et le drame romantique. Dans les deux cas, le ressort tragique du fatum a disparu : les personnages manifestent leur liberté, et le dénouement, souvent malheureux, n'est dû qu'à des facteurs humains. Le mélange des registres (tragique, sublime, grotesque, pathétique) satisfait au désir de vraisemblance.

Epique :

Le mot épopée est issu du grec epos, parole, et poiein, faire. L'épopée consiste donc à raconter, et il est probable que les premiers récits présentaient tous les caractères du genre épique : narration d'un haut fait devenu légendaire, nimbé d'éléments merveilleux et dont le héros, à la valeur surhumaine, entre en conflit avec des forces gigantesques dont il triomphe, fût-ce dans la défaite. Ce personnage, toujours masculin, est porteur d'une morale destinée à exalter une collectivité (famille, nation) ou symboliser la grandeur humaine.

Epistolaire :

L'adjectif provient du latin epistula (lettre). Le genre épistolaire est très répandu dans l'Antiquité (Sénèque, Lettres à Lucilius) et a constitué jusqu'à nos jours un élément indispensable de la vie intellectuelle. La lettre a permis aux écrivains d'agir (Voltaire), de se dévoiler de manière plus intime (Balzac) ou d'exposer leur esthétique (Flaubert), nous donnant ainsi de précieux documents sur l'élaboration de leur œuvre.

Lyrique :

Le mot lyrisme est issu du mot lyre, en raison du rôle joué par cet instrument (c'est celui d'Apollon et d'Orphée) dans l'accompagnement musical. Il caractérise l'expression poétique des émotions, et c'est à ce titre qu'on peut appeler thèmes lyriques le sentiment de la Nature, l'amour et l'amitié, la mélancolie, l'effroi devant la mort, l'adoration religieuse... Hugo définit comme lyriques les temps primitifs : «la première parole de l'homme n'est qu'un hymne : la prière est toute sa religion, l'ode est toute sa poésie.»

Merveilleux et fantastique :

La distinction entre merveilleux (du latin mirabilia, choses admirables) et fantastique (du grec phantasia, imagination) tient au statut différent du personnage à l'égard d'événements qui, dans les deux cas, relèvent du surnaturel. Dans le merveilleux, une cohérence parfaite s'installe entre le personnage et l'univers dans lequel il évolue, alors que dans le fantastique, le personnage est terrifié par l'apparition de phénomènes qu'il perçoit comme étranges. Quand le merveilleux propose au lecteur un monde féerique où rien ne doit l'étonner, le registre fantastique le laisse dans une perpétuelle hésitation : doit-il reconnaître l'évidence du phénomène surnaturel ou se conforter dans son rationalisme ?

Oratoire :

L'adjectif "oratoire" est issu du verbe latin orare (parler, prier). Il englobe les types de discours destinés à être prononcés devant un public. Le genre, très ancien (orateurs grecs et latins : Démosthène), s'est épanoui à l'âge classique (Bossuet, Massillon, Bourdaloue). La rhétorique antique a codifié ces types de discours en trois genres : le genre judiciaire est consacré à la défense d'une cause; le genre épidictique exprime un idéal collectif par l'éloge ou le blâme; le genre délibératif vise à conseiller les membres d'une assemblée en confrontant des arguments contradictoires.

Polemique :
L'adjectif polémique est issu du grec polemos (guerre). Ce genre très ancien (satires de Juvénal) regroupe des textes engagés dans l'actualité, dont ils condamnent les errements moraux, religieux, politiques. L'écrivain du XX° siècle a particulièrement revendiqué ce rôle (Sartre : Qu'est-ce que la littérature ?), pour lequel les formes adaptées choisissent un genre court et mordant : article, lettre ouverte, chanson.

Romanesque :

A l'origine, on appelle roman un texte en prose ou en vers écrit en langue romane (Le roman de la Rose, Le Roman de Renart). Dès le XVI° siècle, il désigne un récit en prose d'aventures imaginaires. Le genre romanesque, après avoir été longtemps considéré comme inférieur parce qu'il était lu de préférence dans la classe bourgeoise, arrive à son apogée avec elle au XIX° siècle. Il est depuis lors un genre protéiforme, où se sont accomplies toutes les expériences.

Tragique :

En dépit de l'usage banal que l'on fait de cet adjectif, son acception littéraire est exclusivement liée aux rapports que l'homme entretient avec le destin. Le mot "tragédie" est issu des mots grecs tragos (le bouc) et hedia (le chant). Ce "chant du bouc" est en fait la liturgie par laquelle on avait coutume de célébrer Dionysos. Ceci explique que la tragédie soit un genre sacré et n'ait guère d'autre expression que théâtrale. Au contraire du drame, la tragédie repose sur la conscience de la fatalité, contre laquelle se brisent inéluctablement les entreprises humaines. Devant ce conflit perdu d'avance, les sentiments cathartiques du public sont la terreur, la pitié et l'admiration.

Le romantisme !



Le romantisme est un courant artistique d'Europe occidentale apparu au cours du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne et en Allemagne, puis au XIXe siècle en France, en Italie et en Espagne. Il se développe en France sous la Restauration et la monarchie de Juillet, par réaction contre la régularité classique jugée trop rigide et le rationalisme philosophique des siècles antérieurs.
Le romantisme s'esquisse par la revendication des poètes du « je » et du « moi », qui veulent faire connaître leurs expériences personnelles et faire cesser cet aspect fictif attribué aux poèmes et aux romans. Le romantisme se caractérise par une volonté d'explorer toutes les possibilités de l'art afin d'exprimer les extases et les tourments du cœur et de l'âme : il est ainsi une réaction du sentiment contre la raison, exaltant le mystère et le fantastique et cherchant l'évasion et le ravissement dans le rêve, le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé. Idéal ou cauchemar d'une sensibilité passionnée et mélancolique, ses valeurs esthétiques et morales, ses idées et thématiques nouvelles ne tardèrent pas à influencer d'autres domaines, en particulier la peinture et la musique.

mercredi 23 septembre 2009

extrait pathétique

[Victime des sévices d'un père alcoolique, la petite Lalie Bijard agonise sous l'œil navré de Gervaise.]
Gervaise, cependant, se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Elle tendait les mains, avec le désir de soulager l'enfant; et, comme le lambeau de drap glissait, elle voulut le rabattre et arranger le lit. Alors, le pauvre petit corps de la mourante apparut. Ah ! Seigneur ! quelle misère et quelle pitié ! Les pierres auraient pleuré. Lalie était toute nue, un reste de camisole aux épaules en guise de chemise; oui, toute nue, et d'une nudité saignante et douloureuse de martyre. Elle n'avait plus de chair, les os trouaient la peau. Sur les côtes, de minces zébrures violettes descendaient jusqu'aux cuisses, les cinglements du fouet imprimés là tout vifs. Une tache livide cerclait le bras gauche, comme si la mâchoire d'un étau avait broyé ce membre si tendre, pas plus gros qu'une allumette. La jambe droite montrait une déchirure mal fermée, quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. Des pieds à la tête, elle n'était qu'un noir. Oh ! ce massacre de l'enfance, ces lourdes pattes d'homme écrasant cet amour de quiqui, cette abomination de tant de faiblesse râlant sous une pareille croix ! On adore dans les églises des saintes fouettées dont la nudité est moins pauvre.

extrait tragique

Mme de Tourvel vient d'avouer à son amie son amour pour Valmont et l'informe de son départ, décision à laquelle il lui est difficile de se soumettre.]
Je m'y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. Déjà, je le sens, je ne le suis que trop; je n'ai sauvé que ma sagesse, la vertu s'est évanouie. Faut-il vous l'avouer, ce qui me reste encore, je le dois à sa générosité. Enivrée du plaisir de le voir, de l'entendre, de la douceur de le sentir auprès de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j'étais sans puissance et sans force; à peine m'en restait-il pour combattre, je n'en avais plus pour résister; je frémissais de mon danger, sans pouvoir le fuir. Hé bien! il a vu ma peine, et il a eu pitié de moi. Comment ne le chérirais-je pas ? Je lui dois bien plus que la vie. Ah ! si en restant auprès de lui je n'avais à trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse à m'éloigner. Que m'est-elle sans lui, ne serais-je pas trop heureuse de la perdre ? Condamnée à faire éternellement son malheur et le mien; à n'oser ni me plaindre, ni le consoler; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-même; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur. Vivre ainsi n'est-ce pas mourir mille fois ? Voilà pourtant quel va être mon sort. Je le supporterai cependant, j'en aurai le courage. Ô vous, que je choisis pour ma mère, recevez-en le serment ! Recevez aussi celui que je fais de ne vous dérober aucune de mes actions; recevez-le, je vous en conjure; je vous le demande comme un secours dont j'ai besoin: ainsi, engagée à vous dire tout, je m'accoutumerai à me croire toujours en votre présence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai à rougir à vos yeux; et retenue par ce frein puissant, tandis que je chérirai en vous l'indulgente amie, confidente de ma faiblesse, j'y honorerai encore l'Ange tutélaire qui me sauvera de la honte. C'est bien en éprouver assez que d'avoir à faire cette demande. Fatal effet d'une présomptueuse confiance! pourquoi n'ai-je pas redouté plus tôt ce penchant que j'ai senti naître? Pourquoi me suis-je flattée de pouvoir à mon gré le maîtriser ou le vaincre ? Insensée ! je connaissais bien peu l'amour ! Ah ! si je l'avais combattu avec plus de soin, peut-être eût-il pris moins d'empire! peut-être alors ce départ n'eût pas été nécessaire; ou même, en me soumettant à ce parti douloureux, j'aurais pu ne pas rompre entièrement une liaison qu'il eût suffi de rendre moins fréquente ! Mais tout perdre à la fois ! et pour jamais ! Ô mon amie !... Mais quoi ! même en vous écrivant, je m'égare encore dans des vœux criminels. Ah ! partons, partons, et que du moins ces torts involontaires soient expiés par mes sacrifices. Adieu, ma respectable amie; aimez-moi comme votre fille, adoptez-moi pour telle; et soyez sûre que, malgré ma faiblesse, j'aimerais mieux mourir que de me rendre indigne de votre choix.
De ..., ce 3 octobre 17**, à une heure du matin.

extrait fantastique

Un billet anonyme a prévenu qu'« un crime serait commis pendant la première messe du Jour des Morts ».]
Encore quatre minutes ! Les oraisons. Le dernier Évangile ! Et ce serait la sortie ! Et il n'y aurait pas eu de crime ! Car l'avertissement disait bien : la première messe...La preuve que c'était fini, c'est que le bedeau se levait, pénétrait dans la sacristie... La comtesse de Saint-Fiacre avait à nouveau la tête entre les mains. Elle ne bougeait pas. La plupart des autres vieilles étaient aussi rigides. « Ite missa est...»... « La messe est dite »... Alors seulement Maigret sentit combien il avait été angoissé. Il s'en était à peine rendu compte. Il poussa un involontaire soupir. Il attendit avec impatience la fin du dernier Évangile, en pensant qu'il allait respirer l'air frais du dehors, voir les gens s'agiter, les entendre parler de choses et d'autres... Les vieilles s'éveillaient toutes à la fois. Les pieds remuaient sur les froids carreaux bleus du temple. Une paysanne se dirigea vers la sortie, puis une autre. Le sacristain parut avec un éteignoir, et un filet de fumée bleue remplaça la flamme des bougies. Le jour était né. Une lumière grise pénétrait dans la nef en même temps que des courants d'air. Il restait trois personnes... Deux... Une chaise remuait... Il ne restait plus que la comtesse, et les nerfs de Maigret se crispèrent d'impatience... Le sacristain, qui avait terminé sa tâche, regarda Mme de Saint-Fiacre. Une hésitation passa sur son visage. Au même moment le commissaire s'avança. Ils furent deux tout près d'elle, à s'étonner de son immobilité, à chercher à voir le visage que cachaient les mains jointes. Maigret, impressionné, toucha l'épaule. Et le corps vacilla, comme si son équilibre n'eût tenu qu'à un rien, roula par terre, resta inerte. La comtesse de Saint-Fiacre était morte.

extrait épique

[Une étape du Tour de France 1964.]
C'est la journée de repos. Raymond Poulidor, comme les autres champions, roule, s'entraîne, teste les braquets sur les pentes environnantes. En guise d'entraînement, Jacques Anquetil, polo gris, pantalon gris et mèche blonde - mèche que l'on ne reverra plus jamais dans le peloton hormis au front d'Evgueni Berzin , l'enfant des loups - débarque au méchoui organisé dans la Principauté par Radio Monte Carlo. Cuissot, rognons, sangria : tout finit dans le buffet de Jacques. Le lendemain, dès les premiers lacets de l'interminable col d'Envalira et vexé par tant de désinvolture, le gratin des pentes - Raymond Poulidor, Federico Bahamontes et Julio Jimenez - place un terrible démarrage et s'envole. Anquetil monte, livide, avec cuissot, rognons et sangria. L'écart se creuse, atteint les quatre minutes, Poulidor peut s'emparer du maillot jaune. Au sommet, mort, raide, à la dérive, Anquetil avale un bidon de champagne, se jette à fond dans une descente rendue extrêmement dangereuse par l'épais brouillard, revient sur les échappés, distance Poulidor et gagne le Tour. Champagne ! Anquetil a tout gagné, sauf, peut-être, le cœur du public qui battait plus pour Raymond Poulidor que pour le Viking de Quincampoix. Parce que Raymond Poulidor, vainqueur de Milan-San Remo, restait, même couvert de fleurs, un petit paysan de la Creuse. Il était l'enfant de la France des villages, des épiceries et des cours de ferme, celle qui regarde passer le Tour, en encourageant, avec toujours plus de chaleur, le champion que la malchance accable. De plus, ces Français que la géographie à l'école ennuya, ont tous un faible pour les champions qui règnent sur les paysages démesurés, affrontent la nature en colère, les éléments déchaînés. Un faible pour Charly Gaul dans la neige de Monte Bondone, sous la pluie mitraillant son corps d'ange dans les grands cols de la Chartreuse. Un faible pour Federico Bahamontes dans la fournaise d'Aubisque, seul et devant sous le soleil meurtrier du Litor. Jacques Anquetil, lui, le chronomaître, ne se bat que contre un ruban de route maigre comme Don Quichotte. Le paysage ne compte pas. Il n'est le tremplin d'aucun rêve, un lieu lisse qui fait d'Anquetil un champion abstrait. Abstrait ? Non, éolien ! Anquetil se bat contre Éole, affronte ses légions de verre et de ouate. Et sa froideur apparente est celle d'une lame de couteau. Regardons-le, splendide, sur son Helyett, son drakkar vert. C'est une sagaie, une flèche, la tête blonde d'une fusée perforant la bidoche invisible du vent.

extrait lyrique

L'automne , de Lamartine
Salut, bois couronnés d'un reste de verdure,
Feuillages jaunissants sur les gazons épars!
Salut, derniers beaux jours! le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards.
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire;
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.
Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés je trouve plus d'attraits;
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.